Hervé Yamguen " Je me suis inspiré des anciens pour trouver ma propre identité artistique"

Publish on Monday, September 9, 2024
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Le travail du poète, plasticien et portraitiste camerounais est une expressive qui puise dans puissance des rêves et l’imagination.

Comment vous découvrez votre appel pour l’art ?

Comme tous les jeunes gamins, j’aimais dessiner et utiliser les crayons et la couleur. Quand j’ai eu accès au collège, je suis allé au collège Saint Michel. Il faut dire qu’à partir de la classe de 3e j’étais toujours passionné de dessin et de littérature. J’aimais lire et quand on feuillette nos livres de littérature, il y a des illustrations avec des dessins, des photos et des peintures et ma curiosité m’a poussé à me rendre compte que faire ça est aussi un métier. C’est à partir de là que je me suis dit que je vais essayer de suivre ma passion et peut être un jour, décider de devenir artiste.

Entre temps, j’avais continué de poursuivre mes dessins et comme j’étais au collège Saint Michel, j’étais aussi attiré par le fait de devenir prêtre. J’ai appartenu au groupe appelé le Club Vocationnel et dans ce groupe, il y avait la possibilité d’aller rendre visite dans des communautés religieuses. Moi ce qui m’intéressait, c’était la vie monastique c’est-à-dire devenir moine. J’ai demandé à un moment donné à vivre une expérience en lien avec le monastère. J’avais 17 ans et on m’a permis de faire une expérience au monastère de Kutaba dans le Noun, situé à l’Ouest du Cameroun.  Le cadre silencieux dans ce monastère m’avait vraiment plu et toutes mes vacances j’y allais. Il y ‘avais une vaste bibliothèque et un jour je suis tombé sur une monographie de Vincent Van Gogh. Après lecture, je me suis dit comment faire pour devenir artiste parce que ça m’intéresse.

Comment avez-vous fait pour allier études et passion ?

Quand je revenais après les vacances au monastère, j’allais rencontrer les ainés pour comprendre un peu le métier et moi-même je m’exerçais. Je m’entrainais à faire de la peinture sur toile et à l’huile. J’avais rencontré un ami, Hervé Youmbi (Plasticien aujourd’hui) qui était lui aussi au même collège avec moi. Ensemble, on partageait cette même passion. On s’entraidait et on se formait. J’ai poursuivi ma passion jusqu’en classe de terminale. Et ensuite, j’ai échoué le baccalauréat (Bacc). Quand il fallait faire le choix soit de reprendre le baccalauréat ou de faire la peinture, j’ai préféré la peinture.

Quelle a été la réaction de vos parents face à votre choix pour la peinture ?

Mes parents n’ont pas accepté bien qu’ils me voyaient faire de la peinture le weekend. Mon père était taximan et ma mère couturière. Ils se disaient que je suis jeune, comment se fait-il que j’abandonne l’école. Bref, ils ne comprenaient pas où cela devait me mener. En terminal, j’ai fait ma première exposition solo au centre culturel français. Comme je peignais de temps en temps à la maison, j’ai décidé à un moment de montrer mon travail. Ils ont vu et ont accepté de faire une exposition. J’ai exposé mes œuvres au cours de l’année scolaire.

Combien d’œuvres vendues lors de votre première exposition au Centre Culturel Français ?

Ce n’était pas l’appât du gain. J’avais vendu une seule œuvre, mais je n’avais jamais touché autant d’argent à l’époque.

Quels sont les artistes qui vous ont influencés dans votre carrière ?

Pour ma formation au Cameroun, j’ai beaucoup fréquenté les ainés. Ceux que je considérais à cette époque qui étaient sur la scène de la création. Il y avait ici à Douala Koko Komegne, Kagan Yan Vicky, Amougou Bivina. J’ai eu des très grandes discussions pour apprendre le métier de l’art avec ces trois personnes. Aussi avec mon compagnon de longue date Hervé Youmbi. On s’est fait artiste au même moment. En dehors d’eux, j’avais une grande curiosité sur la création des ainés et j’ai dû rencontrer les œuvres de Pascal Kenfack, de René Tchebetchou, Kouam Tawadjé, Nokbass, Arah Malon. Je regardais ce que ces ainés ont fait parce que l’apprentissage passe aussi par ça. Quand j’ai connu ce monde de la peinture camerounaise, je me suis ouvert aux connaissances de la peinture africaine. Je cherchais des livres et je regardais. Je me suis également intéressé à la peinture zaïroise puisqu’à l’époque ils étaient avancés. Il y avait des académies là-bas et même du côté de Kinshasa à l’école de Poto-Poto. Il y avait un thème qui revenait beaucoup sur la question de l’authenticité. Comment est-ce qu’on pouvait développer son authenticité dans l’art en s’inspirant de la statuaire africaine en faisant des stylisations. Je me suis donc nourris de beaucoup pour trouver ma propre identité artistique.

De quoi s’inspire votre travail ?

En ce qui concerne la création plastique, je me suis vraiment inspiré de ce que d’autres artistes ont fait. De l’art moderne de l’occident jusqu’à l’art contemporaine. Je me suis même intéressé à ce qui se fait au Japon, en Chine.  Souvent dans le milieu de l’art beaucoup de gens pensent que quand tu fais ce métier tu ne dois pas être cultivé dans d’autres domaines. Or c’est faux. Partout où je vais, je suis un artiste. En ce moment mon champ de travail est essentiellement lié à la connexion de l’être avec  le cosmos. C’est-à-dire comment est-ce qu’à travers son imagination, on fait un travail pour monter comment l’être humain est relié à la nature, aux étoiles, à la lune, au soleil et aux plantes. C’est dans ce lien que l’homme puise sa force. Mon travail est aussi nourrit par des héros de la culture animisme.  

Comment vous décrirez votre spécialisation ? Vous direz que vous faites quel type d’art ?

C’est une peinture expressive mais qui puise essentiellement dans la puissance des rêves et de l’imagination. Je ne me situe pas en termes de courant même si j’ai beaucoup fréquenté des artistes de courant surréalistes et cela m’a beaucoup parlé. Ça donne une force à l’imagination, une liberté intérieure de l’artiste à imaginer des mondes.

Vous avez fait plusieurs expositions à travers le monde. Quels sont les deux expositions qui vous ont le plus marqué en tant qu’artiste ?

« Mon bel oiseau mon âme ». Une exposition que j’ai faite à la galerie Mam à Bonanjo à Douala. Ça a été un moment fondateur dans mon parcours parce que c’est à partir de ce moment que je développe le concept de l’oiseau prompteur qui est en fait comme l’un de mes totems. Il s’agit d’une figure qui apparait régulièrement dans mon travail et exprime la liberté, la présence du poète, de celui qui prend distance avec le monde et l’observe. C’est aussi la présence de l’enchanteur. La seconde c’est une exposition collective que j’ai fait au musée d’art contemporain de Berlin en Allemagne intitulée « Comment dialoguer avec le serpent, le lion » bref avec les animaux.

Parlons de Solid’art cette exposition collective qui a débuté le 9 septembre 2023 à Bolo l’espace. D’où vous est venu l’idée et comment vous avez fait pour réunir ces 12 artistes plasticiens dont les œuvres sont accrochées?

Sur ma page facebook un jour j’ai vu que Jean Marie Teno avait fait un appel de participation pour soutenir la construction d’une maison du film documentaire. Sachant bien toutes les difficultés que les artistes ont dans notre contexte pour avoir un espace dédié à des préoccupations qui sont les leurs, j’ai rencontré Jean Marie Teno. Je lui ai demandé si les artistes pouvaient aussi s’organiser pour apporter leurs contributions. Il était fier de l’idée. Maintenant il fallait voir comment regrouper les artistes et trouver un espace pour exposer. J’ai rencontré Edith Mbella (Directrice de Bolo l’Espace Art et Culture) nous avons échangé et elle aussi a accepté. Maintenant ça restait le choix des artistes. Mais il faut dire une chose, je connais suffisamment bien la scène et les artistes camerounais. Et ceux qui ont été choisis c’est aussi en fonction de leurs engagements dans la communauté. Ils sont bien impliqués. Ce sont  des artistes ouverts à d’autres choses. Je suis donc allé vers eux pour leurs expliquer le projet de cette maison du film documentaire appelée « La’a Lom » et ils ont adhéré.   

Minette Lonstie et Tatiana Kuessie