Poète, plasticien et portraitiste camerounais, Hervé Yamguen fait partie de valeurs sûres de l’art contemporain au Cameroun. En septembre 2023, il a réussi le pari de réunir une douzaine d’artistes camerounais dans un projet nommé Solid’art, une exposition collective, destinée à collecter des fonds afin de soutenir un projet de construction du projet de la maison du film documentaire initiée par Jean Marie Teno. A l’occasion de la soirée de vente aux enchères des œuvres de cette exposition, nous sommes allés à la rencontre de l’artiste camerounais qui a accepté de partager avec nous son histoire, ses débuts et quelques moments forts de ses 20 années de carrière.
Hervé Yamguen, avez-vous toujours voulu devenir artiste ? Quand avez-vous découvert votre appel pour l’art ?
Comme tous les jeunes gamins, j’aimais dessiner et utiliser les crayons et la couleur. Quand je suis allé au collège Saint Michel à Douala, j’étais très passionné de dessin et de littérature. J’aimais lire et quand je feuilletais nos livres de littérature, il y avait des illustrations, des dessins, des photos et des peintures. Ma curiosité m’a poussé à me rendre compte que faire c’était aussi un métier. C’est à partir de là que je me suis dit que j’allais essayer de suivre ma passion et peut être un jour, décider de devenir artiste.
Entre temps, j’ai continué à faire mes dessins et comme j’étais au collège Saint Michel (collège catholique), j’aspirais aussi à devenir prêtre. J’ai par ailleurs appartenu au groupe appelé le Club Vocationnel et dans ce groupe, nous avions la possibilité d’aller rendre visite dans des communautés religieuses. Moi ce qui m’intéressait, c’était la vie monastique c’est-à-dire de devenir moine. J’avais demandé à un moment donné à vivre une expérience en lien avec le monastère.
J’avais alors 17 ans et on m’a permis de faire une expérience au monastère de Kutaba dans le Noun, situé à l’Ouest du Cameroun. Le cadre silencieux dans ce monastère m’avait vraiment plu et toutes mes vacances j’y allais. Il y avait une vaste bibliothèque et un jour je suis tombé sur une monographie de Vincent Van Gogh. Après la lecture, je me suis dès lors demandé comment faire pour devenir artiste parce que ça m’intéressait désormais.
Comment cette passion devenu votre métier a-t-elle influencer vos études ? Réussissiez-vous à allier les deux?
J’ai commencé à me former assez tôt. Quand je revenais au monastère après les vacances, j’allais rencontrer les ainés pour comprendre un peu le métier et m’éxercer. Je m’entrainais à faire de la peinture sur toile. J’avais rencontré un ami, Hervé Youmbi (aujourd’hui célèbre plasticien) qui était dans le même collège que moi. Ensemble, on partageait cette même passion. On s’entraidait et on se formait. Nous sommes devenus artistes presqu’au même moment. J’ai poursuivi ma passion jusqu’en classe de terminale où j’ai fait ma première exposition solo, c’était au Centre Culturel français au cours de l’année scolaire. Cette année-là, j’ai échoué le Baccalauréat. Puis il a fallu faire un choix : soit reprendre le baccalauréat ou de faire la peinture, j’ai préféré la peinture.
Quelle a été la réaction de vos parents face à votre décision de préférer pour la peinture ?
Mes parents n’ont pas accepté bien qu’ils me voyaient régulièrement faire de la peinture le weekend. Mon père était taximan et ma mère couturière. Ils se disaient que je suis jeune pour abandonner l’école et ne comprenaient pas où cela devait me mener. Comme je peignais de temps en temps à la maison, j’ai décidé à un moment de montrer mon travail. Ils ont vu et ont accepté de me laisser faire une exposition.
Avez-vous vendu des œuvres dès cette première exposition au Centre Culturel Français ?
J’avais vendu une seule œuvre, mais c’était un montant important. Je n’avais jamais touché autant d’argent à l’époque.
Parlez-nous de vos influences. Quels sont les artistes qui vous ont influencés, notamment au début de votre carrière ?
A mes débuts, j’ai beaucoup fréquenté les ainés, ceux de la scène de la création pour qui j’avais de la considération : Koko Komegne, Kanganyam Viking et Amougou Bivina. J’ai eu avec ces trois personnes des très grandes discussions qui m’ont permis d’apprendre et d’en savoir plus sur le métier d’artiste. Comme influence je dirais également mon compagnon de longue date Hervé Youmbi. On s’est fait artiste au même moment.
Aussi, j’avais une grande curiosité sur la création des ainés et j’ai dû rencontrer les œuvres de Pascal Kenfack, de René Tchebetchou, Jean Kouam Tawadjé, Nokbass, Arah Malon. Après avoir développé me connaissance dans la peinture camerounaise, je me suis intéréssé à la peinture africaine. Je cherchais des livres et je regardais. Je me suis spécialement intéressé à la peinture zaïroise puisqu’à l’époque ils étaient avancés. Il y avait des académies là-bas et même du côté de Kinshasa à l’école de Poto-Poto. Il y avait un thème qui revenait beaucoup sur la question de l’authenticité. Comment est-ce qu’on pouvait développer son authenticité dans l’art en s’inspirant de la statuaire africaine en faisant des stylisations.
Pour résumer je dirais que je me suis nourri de beaucoup pour trouver ma propre identité artistique.
De quoi s’inspire votre travail ?
En ce qui concerne la création plastique, je me suis inspiré de ce que d’autres artistes ont fait ; De l’art moderne de l’occident jusqu’à l’art contemporain. Je me suis même intéressé à ce qui se fait au Japon, en Chine. Souvent dans le milieu de l’art, beaucoup de gens pensent que quand tu fais ce métier tu ne dois pas être cultivé dans d’autres domaines. Or c’est faux. Partout où je vais, je suis un artiste.
En ce moment mon champ de travail est essentiellement lié à la connexion de l’être avec le cosmos ; c’est-à-dire comment est-ce qu’à travers son imagination, on fait un travail pour monter comment l’être humain est relié à la nature, aux étoiles, à la lune, au soleil et aux plantes. C’est dans ce lien que l’homme puise sa force. Enfin, mon travail est aussi nourri par des héros de la culture animiste.
Comment vous décrirez votre spécialisation ? Vous direz que vous faites quel type d’art ?
Je décrirais mon art comme une peinture expressive mais qui puise essentiellement dans la puissance des rêves et de l’imagination. Je ne me situe pas en terme de courant même si j’ai beaucoup fréquenté des artistes de courant surréalistes et cela m’a beaucoup parlé. Ça donne une force à l’imagination, une liberté intérieure de l’artiste à imaginer des mondes.
Vous avez à votre actif plusieurs dizaines d’expositions ici au Cameroun et dans plusieurs pays à travers le monde. Quelle est parmi elles, celle qui vous a le plus marqué ?
L’exposition « Mon bel oiseau mon âme ». C’est une exposition solo que j’ai faite à la galerie MAM à Bonanjo à Douala en 2013. Ça a été un moment clé dans mon parcours. C’est à dans cette période que je développe le concept de l’oiseau prompteur qui est comme l’un de mes totems. Il s’agit d’une figure qui apparait régulièrement dans mon travail et exprime la liberté, la présence du poète, de celui qui prend distance avec le monde et l’observe. C’est aussi la présence de l’enchanteur.
Il y a également l’exposition collective « Comment parler avec les oiseaux, les serpents, les lions. » « How to talk with birds, trees, fish, shells, snakes, bulls and lions » organisé au Musée d’art contemporain de Berlin en Allemagne (Museum für Gegenwart) intitulée bref avec les animaux. https://www.smb.museum/en/exhibitions/detail/how-to-talk-with-birds-trees-fish-shells-snakes-bulls-and-lions/
Nous allons terminé en parlant de Solid’art cette exposition collective ouverte depuis le 9 septembre et qui nous réunit ici aujourd’hui à Bolo l’espace art et culture. D’où vous est venu l’idée de ce projet et comment vous avez -vous réussi à réunir ces 12 artistes plasticiens qui participent à ce projet caritatif?
Tout est parti d’une publication Facebook. Sur mon mur Facebook un jour j’ai vu que le réalisateur Jean Marie Teno avait fait un appel de participation pour soutenir la construction d’une maison du film documentaire. Connaissant bien toutes les difficultés auxquelles les artistes font face dans notre contexte pour avoir un espace dédié à des préoccupations qui sont les leurs, j’ai eu envie de participer. J’ai rencontré Jean Marie Teno et lui ai demandé si les artistes pouvaient aussi s’organiser pour apporter leurs contributions. Il était très content de l’idée. Ensuite il fallait voir comment regrouper les artistes et surtout trouver un espace pour exposer.
C’est alors que j’ai rencontré Edith Mbella la Directrice de Bolo l’Espace Art et Culture. Nous avons échangé et elle a aussitôt accepté. Ensuite il restait juste à faire le choix des artistes. Les artistes qui ont été invités dans ce projet ont été choisis en fonction de leur engagement dans la communauté. Ils se sont bien impliqués. Ce sont des artistes ouverts à d’autres choses. Je suis donc allé vers eux pour leurs expliquer le projet de cette maison du film documentaire appelée « La’a Lom » et ils ont adhéré.
Entretien réalisé par Minette Lonstie et Tatiana Kuessie