La directrice de Bolo l’Espace Art et Culture interpelle les artistes à la conservation et la valorisation de notre culture et des créations artistiques.
Est-ce que vous avez fait des études en médiation culturelle ?
Non ! Je n’ai pas fait des études en médiation culturelle. J’ai fait des études de science économique à Paris en France.
Comment est-ce vous arrivez dans l’univers artistique ?
Je pense que le fait que je sois partie tôt de l’Afrique a beaucoup influencé. Et aussi le fait que qu’a un moment donné que je me sois posée certaines questions. Ce qui m’a captée quand j’avais 17 ou 18 ans c’est de voire quand j’arrive au puces de Cléonpon (Parce que les promenades que les gens ont l’habitude de faire en fin de semaine à paris c’est d’aller chiller au pus) qu’il y avait des masques africains qui étaient posés sur le sol. Ça m’a interpellée. Etant du côté de Saint Germain je voyais des galeries d’arts et les objets étaient protégés dans des vitrines ou poser au sol. Tout ça me parlait déjà. J’avoue que lorsqu’on est jeune on se pose des questions à savoir pourquoi ses objets qu’on on a vu chez soit au Cameroun au marché de l’artisanat sont considérés à certains endroits et à d’autres pas. Ce fut le déclic.
Qui vous a initié dans la lecture des œuvres d’art ?
J’ai une chance inuit que je rencontre un couple Maud et Rogné Garcias d’origine espagnole. Ce monsieur avait une galerie d’art au village suisse (un lieu d’antiquaire ou on vend des objets qui datent de l’antiquité). De l’art Africain. Il n’avait jamais été en Afrique mais il connaissait l’Afrique comme s’il y avait déjà été. En fait lors de toutes les rencontres qu’il avait avec les marchands qui lui ramenaient ses objets, il s’intéressait à leur vie, leurs peuples etc. En fait c’est lui qui m’explique que ce que vous pouvez voire poser par terre ou ailleurs sont des objets d’artisanats et qui ne sont pas forcément des objets qui ont été utilisés pour des rites ou rituels. Il avait toute une série de pièce de Poura (c’est une ancienne civilisation qu’on rencontre au plateau Joss au Nigéria) conçue pour des rites bien précis à un moment donné. Je ne sais pas pourquoi il y a eu cette attraction et j’ai commencé à aller plus souvent là-bas et à regarder des objets et avoir des explications.
Parlez-nous de votre rencontre avec Marc Léo Felix. A quel moment il apparait dans votre parcours ?
J’ai eu une chance inuit de rencontrer un autre monsieur qui s’appelle Marc Leo Felix à Bruxelles. Il avait déjà vécu au Cameroun, au Congo, et avait connu une de mes tantes. Il m’a pris comme sa fille et il m’a initiée totalement et ça a changé ma vie. Moralement destinée à une carrière d’économiste finalement je commence à être passionnée d’art. Il m’a appris la technique de lecture dans l’art. Ce monsieur m’éclair par rapport à beaucoup de choses.
Il avait aussi une façon de faire lorsqu’il tenait un objet. Il le faisait tourner et te donnait les iconographies de chaque peuple. Ceci pour que tu te rappelles des sculptures de telle ou telle culture. Tu découvres des peuples comme les Basongé, les Mba, et les Bakongo. Des peuples au Congo réputés pour avoir des objets de haute protection. Il te permet donc d’apprendre tous les iconographies des peuples et savoir aussi quand il y a des influences et des matériaux c’est-à-dire comment utiliser toutes sortes de pigments. Franchement c’est lui qui m’a appris le métier. Maud et son mari c’est l’éveil et la connaissance mais techniquement c’est Marc Léo Felix
Parlez-nous de « Kuba » et « Bakuba » vos premières œuvres solos en tant qu’écrivain et commissaire d’exposition.
Le premier ouvrage que je fais c’est « Kuba ». Kuba c’est un peuple qu’on rencontre dans la région de Keizai en Afrique centrale. Un peuple qui a énormément lutté contre l’invasion Belges. Ils étaient admirés parce qu’on les appelait les hommes de l’éclair. En fait ils utilisaient des armes magnifiques qui dans la nuit quand on les voyait on avait l’impression que c’était de l’éclair parce que tellement bien ciselés et bien polis. Kuba parle de l’art d’Afrique Centrale surtout avec l’appui de Marc Léo Felix et ses connaissances. Le livre a paru entre 1999 et 2000
Entre temps vous rédigez en tant que commissaire d’exposition. Des textes préambules aux vernissages. Et vous écrivez lors de votre première exposition un texte sur les « Bakuba ».
La première exposition que je fais en tant que commissaire, j’écris un texte sur les « Bakuba » précisément sur un travail qui n’est réalisé que par des femmes. Ces femmes qui à partir du moment où elles étaient enceinte passaient leurs temps à tisser, à confectionner des vêtements fait à base de raphia et de l’atukula. L’atukula c’est un pigment à base végétal qu’on mélange aussi avec de la terre. Ça donne un ocre particulier. L’atukula pendant longtemps était considéré en Afrique comme une monnaie d’échange comme le tissu, les armes, du métal des perles qu’arboraient les femmes pour les dots au Congo.
Parlez-nous de votre collection. Combien de pièce compte–elle ?
Ma collection est vaste. Elle est constituée à la fois de l’art contemporain, de l’art ancien et en même temps des bijoux qui ont une histoire. Des bijoux traditionnels ethniques provenant d’Afrique, d’Asie, bref de partout. J’aime les bijoux qui racontent une histoire. J’ai l’impression que la vie de la personne qui a eu cet objet, je vais la continuer. Ma collection de bijoux est plus de 200 pièces. Ma collection d’objets rituels avoisine aussi le même chiffre. C’est peut-être même plus parce que seuls les appuis nuques africains sont plus de 100 pièces. Cette collection se trouve à Madrid de même que ma collection d’art contemporain. J’ai des œuvres de beaucoup d’artistes du Congo. De Chéri Samba, Chéri Cherin, Jean Paul Mika, Georges Lilanga, et un peu du camerounais Salifou Lindou. Au Cameroun toutes les expositions que j’ai organisées j’ai toujours acheté une pièce. En art contemporain j’ai entre 50 et 80 pièces.
Vous pensez quoi de l’idée qui est rependue et qui dit qu’il faut être riche pour collectionner ?
C’est absolument faux. Moi je fais la promotion pour que tout le monde puisse accéder à l’art et collectionner ce n’est pas une histoire d’argent. On peut tout collectionner et c’est ce que les camerounais n’ont pas encore compris. J’ai rencontré plein de collectionneurs en Europe qui ont collectionnés des choses banales. Je connais une dame en Espagne qui collectionne des poupées de toutes les époques. On est à la recherche du timbre. On échange avec quelqu’un d’autre, on n’a pas forcément l’argent c’est aussi ça collectionner. Collectionner c’est avoir un intérêt, une certaine sensibilité, une connexion en face d’un objet et décider qu’à partir de ce moment on va accumuler cela. Mais on accumule aussi les connaissances par rapport à cet objet qu’on a envie d’acquérir (quel que soit l’objet). Donc la collection n’est pas forcément une question d’argent.
Il n y a pas encore ce genre de marché ici mais à Paris et même à Madrid ou dans les Provinces vous allez dans les petites marchés il y a des gens qui débarrassent leurs maisons. Il y a des choses qui peuvent vous plaire parce que certains n’ont pas le même regard que vous. Collectionner c’est avoir un regard par rapport à quelque chose. Tu apprécies, tu analyse et après tu recherches des choses qui vont te permettre d’agrandir cette collection. Et aussi quand on collectionne c’est comme une drogue. A peine qu’on a fini d’acheter quelque chose on est déjà en train de chercher une autre. Mais moi je préfère cette drogue. Avec ça je créée un patrimoine pas pour m’enrichir mais pour permettre après dans un musé pourquoi pas que les gens puisse apprécier. C’est didactique.
Où est-ce que vous voyez votre collection dans 10 ans par exemple ?
Je vais la partager avec tout le monde. L’exposer dans un espace dédié à cela pour que tout le monde puisse y accéder. Pouvoir participer à l’initiation des gens qui ont envies d’aimer ce que moi j’ai pu léguer. Je ne suis pas dans la démarche de collectionner pour revendre plus tard très chers mais je respecte la décision de ce qui le font parce que chacun fait ce qu’il veut. Une collection pour moi c’est quelque chose qui me remplit, qui m’enrichit. J’ai du mal à me défaire des choses. Je suis consciente que ces objets peuvent faire une plus-value mais je ne les achète pas pour ça. J’aime les choses authentiques et simples. Je pense que la priorité c’est de permettre à d’autres d’avoir la connaissance.
Quand-on parle de restitution d’objet d’art à leur pays d’origine, est-ce que cela concerne aussi les collectionneurs ?
Ce que les Etats demandent c’est tout ce qui est dans les musés. Ça ne rentre pas dans l’ordre du privé. C’est-à-dire des personnes ayant leurs propres collections, leurs objets chez eux ne sont pas forcément concernés. On n’est pas encore arrivé à ce niveau. Il y a des collectionneurs aux Etats-Unis qui ont leurs propres collections privées. Sauf si les objets qui ont été réclamés étaient déjà dans les musés et avait déjà été répertoriés. Dans ce cas si toi en tant que privé tu essayes d’acheter cela pour pouvoir contourner la loi et vendre cela au marché noir, ça ne sera pas possible. Si on sait que c’est chez toi il faudrait que ça rentre. Maintenant on peut faire de la coopération avec certains musés. Genre des échanges. Ça existe même déjà. Ils le font entre eux. Ils échangent des objets d’un pays à un autre. Par exemple on fait un solo sur un grand artiste et à ce moment on demande qu’il puisse avoir des œuvres de tels ou tels autres artistes qui sont à tels endroits. Ces œuvres vont venir pendant un moment. Elles seront louées, protégées et assurées. Donc il y a ces accords là que nos chefs d’Etat devront aussi faire.
Quel est votre point de vue par rapport à l’argument avancé sur comment conserver et créer de la valeur avec ces objets si on les ramène ?
Cet argument n’a pas de sens pour la simple raison qu’aujourd’hui on a des fils qui ont fait des études et sont calés intellectuellement. Pourquoi on ne pourrait pas avoir des personnes qui puissent prendre soins de ces objets ici. Les grands intellectuels sont sollicités partout. Le problème réel qu’on pourrait avoir ici c’est comment l’Etat affecte son argent pour la conservation de ces objets.
Est-ce que vous avez message pour encourager les camerounais à collectionner ?
Tout le monde peut collectionner. Il suffit simplement par exemple de ramasser les bouchons des brasseries il y a par moment des choses qui sont écrites à l’intérieur. Donc on peut faire une collection en ramassant quelque chose. Aujourd’hui on a besoin de conserver notre culture et valoriser les créations artistiques. Soutenir le travail des artistes même s’il est vrai que ces derniers préfèrent vendre en occident parce que l’argent qui vient de là est beaucoup plus élevé. Moi je pense qu’on doit contribuer à l’éducation de notre jeunesse et laisser un patrimoine. On est en train de se plaindre du retour de nos pièces anciennes et on finira par redemander aussi le retour des pièces de nos artistes des générations passantes. Les artistes devraient d’abord laisser quelque chose ici avant même d’aller ailleurs. Moi je contribue en permettant aux gens qui n’ont pas assez de moyens de venir acquérir des pièces. Le payement se fait souvent en tranches d’abord pour qu’on puisse libérer l’artiste. Ensuite le reste je me bats avec eux pour qu’il termine.
Minette Lonstie et Tatiana Kuessie